Histoire des arts de la table, photo d'illustration de l'article de Maison Quand Même

Art de la table : une histoire vivante, du banquet antique à nos tables contemporaines

Partager un repas n’a jamais été un geste anodin. Derrière la disposition des assiettes, le choix des verres ou l’éclat de l’argenterie se cache une longue histoire où se mêlent politique, art et sociabilité.

L’art de la table n’est pas seulement un répertoire de codes raffinés : c’est un langage universel qui raconte notre manière de vivre ensemble, hérité de siècles d’usages, d’innovations et de créations.

Chez Maison Quand Même, nous croyons que ces savoir-faire ne doivent pas rester enfermés dans les musées ou les grandes demeures : ils peuvent s’inviter dans nos vies d’aujourd’hui, pour que chaque repas devienne une expérience sensible et partagée.

Brève histoire des arts de la table

Scène de banquet grec : un homme allongé sur un lit (klinè) reçoit une coupe de vin des mains d’une femme. Détail d’une coupe attique attribuée au peintre Douris, vers 480-470 av. J.-C. (Musée du Louvre / Martin von Wagner-Museum, Wurtzbourg).
Scène de banquet grec - Détail d’une coupe attique attribuée au peintre Douris, vers 480-470 av. J.-C. (Musée du Louvre / Martin von Wagner-Museum, Wurtzbourg).

Des banquets antiques à la convivialité médiévale

Dès l’Antiquité, le repas prend valeur de spectacle. Les Grecs inventent le symposion, où vin, musique et philosophie se mêlent. Les Romains font du convivium un instrument politique : vaisselle en argent, mets raffinés et profusion de vins sont autant de signes de pouvoir.

Au Moyen Âge, les festins collectifs prolongent cette logique de prestige, mais dans un cadre hiérarchisé : plusieurs convives partagent une même écuelle, les doigts et le couteau personnel servent d’ustensiles. La cuillère circule, mais la fourchette, venue d’Orient, reste marginale. Le repas met en scène l’abondance plus que la finesse.

Renaissance et premiers raffinements

La Renaissance apporte un souffle nouveau dans l’art de la table : majoliques peintes, verres de Venise et banquets fastueux organisés par les cours princières témoignent d’un raffinement croissant.

On a longtemps raconté que Catherine de Médicis, venue de Florence en 1533 pour épouser Henri II, aurait introduit en France l’usage de la fourchette et transformé à elle seule les pratiques culinaires. En vérité, la fourchette circule déjà dans certaines cours d’Europe depuis le Moyen Âge, bien que son adoption fut lente et progressive. Mais ce mythe, en mettant en scène Catherine comme figure civilisatrice, dit bien quelque chose de l’imaginaire attaché à la table : l’idée que le raffinement se transmet par des gestes, des objets, et qu’il symbolise l’entrée dans une modernité du goût.

Versailles et l’essor des manufactures royales

Sous Louis XIV, la table est un véritable théâtre du pouvoir. Le Grand couvert, auquel le public assiste, met en scène l’ordre monarchique. Le service à la française, qui consiste à disposer tous les plats simultanément, donne à voir une profusion spectaculaire.

Les manufactures royales soutiennent ce faste : la porcelaine de Sèvres, la cristallerie de Saint-Louis, l’orfèvrerie monumentale. Ces productions ne s’arrêtent pas à la Révolution : sous le Second Empire, Napoléon III encourage à nouveau les arts de la table, qui deviennent un instrument de diplomatie et d’excellence française. La table de prestige se démocratise, passant des palais aux salons bourgeois.

Le festin royal, gravure
Le festin royal à la cour du roi de France Louis XVI, 1787, gravure, coll. BNF-Paris

Du XIXe siècle à nos jours : la table privée

Le XIXe siècle introduit aussi le service à la russe : les plats sont servis successivement, dans un ordre précis. La bourgeoisie adopte ces codes et se dote de grands services de table, de ménagères complètes en argent, d’assiettes et de verres spécialisés.

Au XXe siècle, de nouveaux créateurs réinventent la table pour la rendre accessible au plus grand nombre. Les céramistes mid-century, comme Roger Capron ou Robert Picault conçoivent des assiettes et des plats qui allient esprit utilitaire et art décoratif, témoignant d’une époque où la céramique de table devient un terrain d’expression artistique à part entière. 

Aujourd’hui, l’art de la table s’est affranchi de ses codes rigides. On peut associer une assiette en porcelaine du XIXe à un verre Art déco ou à des couverts design. Ce mélange, loin de trahir la tradition, en prolonge l’esprit : faire du repas un moment de beauté et de partage.

Les matières qui façonnent l’élégance

La céramique : de la faïence à la porcelaine

La céramique est au cœur de l’art de la table européen. La faïence, poreuse et colorée, issue de la Méditerranée, s’impose dès la Renaissance pour ses décors éclatants. Elle se prête aux motifs végétaux, animaliers ou géométriques, apportant chaleur et convivialité.

La porcelaine, perfectionnée en Chine, conquiert l’Europe au XVIIIᵉ siècle avec Meissen en Saxe, puis avec la manufacture royale de Sèvres. Translucide, légère, sonore, elle devient l’emblème de l’élégance aristocratique. Posséder un service en porcelaine, c’était affirmer sa place dans une société où l’art de recevoir était un langage.

Au XXe siècle, les artistes renouèrent avec la rusticité du grès, en quête d’authenticité et de simplicité. La céramique de table n’est plus seulement utilitaire : elle devient un champ d’expérimentation esthétique, reflet des sensibilités modernes.

Le verre et le cristal : éclats de lumière

Le verre accompagne le repas depuis l’Antiquité romaine : coupes soufflées, amphores et calices faisaient déjà partie de la mise en scène des banquets. Au Moyen Âge, il reste rare et précieux, souvent réservé aux élites, avant de se transformer à la Renaissance avec les verres de Murano. Le savoir-faire vénitien — finesse du soufflage, transparence exceptionnelle — rayonne dans toute l’Europe.

Six verres du rhin coloré

À partir du XVIIᵉ siècle, l’Angleterre invente le cristal au plomb, plus brillant et plus sonore. Cette innovation se diffuse au XIXᵉ siècle, avec Baccarat et Saint-Louis en France, ou le Val Saint-Lambert en Belgique, qui imposent leurs créations sur les tables bourgeoises. Chaque verre devient alors un objet d’art : taillé, poli, gravé, parfois teinté dans la masse.

Dans les années 1920-1930, l’Art déco renouvelle les formes : géométries franches, lignes élancées, teintes vives. Ces verres modernistes incarnent l’esprit d’une époque ivre de vitesse et de progrès.

Aujourd’hui, le verre et le cristal continuent d’évoluer : designers et artisans explorent de nouvelles couleurs, des transparences inédites, ou au contraire une radicale sobriété. Qu’il soit ancien ou contemporain, lever un verre de cristal reste un geste qui relie la convivialité quotidienne à un savoir-faire millénaire.

L’argenterie : éclat et prestige

Les services en argent, avec leurs poinçons minutieux et leurs formes étudiées, ont longtemps été le signe visible d’une réussite sociale. À la Renaissance, l’orfèvrerie orne les banquets princiers de coupes et de plats monumentaux. Sous Louis XIV, elle devient un instrument de représentation du pouvoir.

Au XIXᵉ siècle, la maison Christofle démocratise l’usage du métal argenté, permettant à une bourgeoisie en pleine ascension de s’approprier cet éclat. Les ménagères complètes deviennent l’élément central du trousseau familial.

Au XXᵉ siècle, l’argenterie évolue : plus épurée, plus fonctionnelle, elle reflète l’esprit moderne. Aujourd’hui encore, elle brille sur les tables de fête, mais aussi au quotidien, comme témoin d’un héritage réinventé. Un couvert en argent ou en métal argenté n’est plus un signe de richesse : c’est un objet qui raconte la permanence du beau dans le geste simple de se mettre à table.

Dresser une belle table aujourd’hui

Si l’histoire nourrit l’imaginaire, l’art de la table reste aussi une pratique quotidienne. Quelques règles simples suffisent à donner à un repas une allure élégante :

  • Une nappe bien repassée qui tombe à mi-hauteur.
  • Les assiettes alignées à deux centimètres du bord de table.
  • À gauche les fourchettes, à droite les couteaux (lame tournée vers l’assiette), puis la cuillère à soupe.
  • Les verres disposés en diagonale : eau, vin rouge, vin blanc, et parfois flûte à champagne en retrait
  • L’assiette à pain, en haut à gauche, accompagnée de son couteau.
  • La serviette, pliée avec soin, posée dans l’assiette ou à gauche des couverts.

Ces règles ne sont pas des carcans : elles sont un cadre, un canevas que chacun peut adapter. Associer une argenterie familiale avec une céramique contemporaine, jouer avec les couleurs des verres, introduire un objet artisanal comme un centre de table : autant de manières de créer un moment singulier.

Chez Quand Même, nous pensons que l’art de la table n’est pas réservé aux grandes occasions. C’est un art de vivre quotidien. Mettre de la beauté dans le geste de dresser une table, c’est déjà célébrer ceux avec qui l’on partage le repas.

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